Learn to play your fucking instruments.
Le LFH, comme toutes les hiérarchies, est en fait une grosse tyrannie même pas bien déguisée. C'est-à-dire que sévit un seul monstre cruel et autoritaire, la bien nommée teneur en ce mélange de coupes de cheveux ravagées, de tailles élastiques, de tenues auto congratulées et de démarches scéniques. Cette liqueur plus communément appelée Yo-attitude a été injectée à doses scandaleusement inégales dans les veines des élèves du LFH. Peut-être pas à la naissance parce que quand même, avoir le sens des rayures roses et des cheveux sublimement noirs, c’est un don beaucoup trop précieux pour être placé dans les doigts potelés de nourrissons baveux. Mais disons qu’à 11 ans, quand on commence à arrêter d’être un gamin insupportable avec visage vide et manque flagrant de rayures, certains commencent à faire leur réserve du précieux liquide. Et c’est là où la scission commence. Tel un tremblement de terre digne des meilleurs films catastrophes, le sol se scinde en deux en une jolie ligne brisée, et tous les cons qui se trouvent d’un côté sont éternellement destinés à être des ringards tandis que les autres deviennent irrémédiablement cools. De ce côté, pas de problème, on est yo et on le reste. Mais du côté des cons, tout n’est pas si simple, comme si ça ne leur suffisait pas de dire Adieu à des années des scolarités agréables, d’autres mutations sont opérées au sein des ringards absolus. C’est ainsi que naissent les wannabe, les résolus, les révoltés, les passifs, les inconscients, les lucides et les amers.
Pour imager ce phénomène de la façon la moins cruelle, imaginez que vous êtes ringard et que votre voisin est cool. Et voilà, vous venez de goûter à l’Apartheid façon enfants-et-adolescents-de-3-à19-ans-en-soif-d’expérimentation-de-la-vie-qui-vient-de-leur-être-dévoilée.
Le Monde Yo est en lice pour le titre du plus creux de tous les environnements, cependant, certaines règles contribuent à le rendre pas complètement inintéressant. Ces règles régulent l’entrée des membres, ainsi que leur importance, plus on cumule les caractéristiques, plus on est un Yo de première classe, et ça c’est bon.
Premièrement, il faut être mince. A part quelques infimes et explicables exceptions, de mémoire d’observatrice sournoise, on n’a jamais vu de gros dans l’entourage des Yo (les quelques gros admis sont soumis à la condition de remplir doublement au moins deux autres conditions, histoire de compenser). En plus d’être mince, leur mission principale est d’être beaux. Assez beaux pour écraser les non beaux, les démoraliser, les faire acheter des t-shirt rayés dans l’espoir de se faire confondre –de loin- avec l’une de leurs idoles, faire comprendre à la plèbe qu’il s’agit d’un monde fermé et que si vous n’avez pas reçu la bonne combinaison de chromosomes, c’est tant pis pour votre gueule. Le plus révoltant, c’est cette beauté diffusée dans le sens biblique du terme. Ces gens sont réellement beaux.
Jusque là, un spécimen Yo est donc affublé d’un poids méprisant et d’un visage parfait.
Pour définir le physique plus simplement, il est juste bon à savoir que les Yo sont parfaits. Ils sont aussi grands ( 1ère utilisation : repousser n’importe quel être inférieur par les mots implicitement écrits en lettres fluorescentes « Si tu viens me parler, ton menton arrivera à mon épaule, et comme tu te doutes bien que je ne prendrai pas la peine de baisser la tête pour toi, tu seras obligé de lever la tienne et de te retrouver dans cette position ridicule où l’on se trouve lorsqu’on observe quelqu’un comme on observe la Tour de Pise/ la Sagrada Familia/ la Tour Eiffel/ Big Ben, pour la première fois. Position qui ne viendra que renforcer mon sentiment, tu es ringard » ), parfaitement chevelus ( boucles parfaites, art d’allier le peigne et le gel sans avoir l’air d’avoir plongé la tête dans un pot de confiture, mèches longues et lisses, tout pour donner envie de se raser définitivement le crâne), et surtout, magistralement bien articulés.
Avez-vous déjà ressenti cette montée de complexe indomptable, vous faisant soudain réaliser que vos gestes étaient gauches, votre démarche ridicule, le mouvement de vos cheveux inexistant et que l’os de votre cheville ne ressortait pas quand vous marchiez ? Non ?
Eh bien eux non plus.
Les Yo ont l’art de la coordination, les filles marchent comme si un marquage au sol leur indiquait où poser les pieds, les garçons avancent comme sur des patins et ont résolu le mystère de l’emplacement des mains quand leur utilité n’est pas requise. Attention, le voile de plusieurs générations de tortures juvéniles va être levé.
Le long du corps.
Oui, moi aussi j’ai mis du temps à me remettre au début. Mais on s’habitue.
Mais l’injustice ne s’arrête pas là. Ca serait trop facile si ces petits morpions se contentaient d’être physiquement parfaits.
Ils sont aussi riches, puisque tous fils et filles de diplomates, consuls, employés du Consulat, ambassadeurs, employés de l’Ambassade, chefs d’entreprises et autres métiers trop bien rémunérés pour les exercer en France.
Ils sont aussi intéressants. En tout cas, il faut le croire puisque tout ce qu’on en aperçoit pendant la récréation sont des agglutinations de cartables si bien fermées qu’on se demande s’ils ne sont pas entrain de fomenter un attentat là dedans. Quand ils ne discutent pas avec air sérieux et le reste de la panoplie empruntée au Papa, ils exercent leur deuxième activité favorite. S’allonger les uns sur les autres. Dans les systèmes masculins, ça se réduit à attraper le plus proche compatriote et à l’agiter comme une bombe de Chantilly en laissant apparaître sous-vêtements et portions de peau supposées au dessus de notre mérite. De grands moments. Pour les institutions mixtes, c’est facile, la fille se pend au garçon et en gloussant tout en tentant d’être la plus désirable possible, tout un art. En ce qui concerne l’étiquette exclusivement féminine, il suffit de s’agripper le bras, le poignet ou la taille pour jouer le parfait duo de meilleures amies tout en espérant que l’autre contracte un ignoble bouton pendant la nuit.
Les filles. Un sacré morceau. Basiquement, les Yo ont vu naître deux races de filles. Les bimbos et les garçons manqués. Mais attentions, les règles ont changé depuis le CM1, les temps où le garçon manqué était la risée de l’école sont révolus. Aujourd’hui elles ont les cheveux longs se maquillent mais sont les meilleurs copains des garçon, pantacourts et vocabulaire inclus. Oui, ces filles sont la vermine, belles et sportives, elles sont totalement insérées dans le monde de nos plus grandes idoles, nous, les filles banales, elles les touchent, les sentent, les font rire et ne sont pas totalement écartées de la course à la petite copine. Des vraies tâches.
Les bimbos, on les connaît, on sait qu’elles marchent les mains pendantes, les yeux surexcités, les jambes en alerte, la bouche en cœur et avec la ferme certitude que si elles pensent très fort « Ils ne voient pas à quel point je fais tout pour me faire remarquer », ça deviendra réalité. Les bimbos (aussi appelées pson) sont la version plus poussée des garçons manqués, plus portées sur les nombrils, plus fans de Paris Hilton, plus abonnées chez le coiffeur et plus en recherche assidue de sexe.
Les deux classes vivant à proximité des beaux garçons, nous leur devons cependant le respect.
Les garçons, comme d’habitude, sont moins compliqués que les filles, ils n’ont qu’une bannière sous laquelle se rassembler. Il leur suffit d’être beaux, bien coiffés, bien habillés, de fumer et de rester entre eux pour être Yo.
Généralement, un Yo ne touche pas à son carnet ou même à tout ce qui a un rapport avec l’administration, pas de photo d’identité, pas de notes. Rien n’enthousiasme le Yo à part lui-même, pas question de courir au cross, d’assister aux spectacles, de s’investir aux ventes de choses inutiles destinées à payer un voyage nul, de lever le doigt en cours ou même d’admettre qu’un cours est intéressant. C’est pourquoi ils sont aussi les premiers à quitter la classe, avec en option, un air exaspéré et un pas pressé. Rien ne semble assez bien pour eux et on se surprend à se sentir chanceux de respirer le même air qu’eux.
Le Monde des ringards est beaucoup plus cosy. Ils ne peuvent pas tomber plus bas alors la liberté de mouvements est infinie. Ils peuvent même venir à l’école les cheveux gras de temps en temps, personne ne notera. Les ringards n’ont pas nécessairement besoin d’être moches. On trouve des spécimens étonnants dépassant parfois le mètre soixante et les lunettes, passées de toutes les strates de mode depuis longtemps, se font tout aussi rares. Le cliché du nerd moche et associable est fini. Maintenant on se contente de ne pas être assez bien pour les Yo. Ce qui est un grand pas. Mais la plupart des ringards admirent maladivement les Yo.
Ca peut se traduire par une haine violente comme par un amour insensé, tout est permis puisque de toute façon tout le monde se tape de l’avis des ringards. Ils peuvent passer des récréations entières à les dévisager du coin de l’œil s ans avoir la moindre nano chance d’être un jour frôlé par l’un d’eux. Mais ils ne sont pas totalement obnubilés par leurs idoles. Ils sont aussi concernés par le timing parfait pour arriver premier à la queue de la cantine, par l’oubli de leur rapporteur, par le retard de leur livre au CDI, par l’emplacement idéal du bus, par leur contrôle de physique, à leur moyenne de grammaire qu’ils ont oublié d’écrire en rouge et à l’heure de permanence qui n’est toujours pas organisée en tranche de vingt minutes (respectivement révisions de maths, actes illicites sur l’ordinateur –consistant à ouvrir deux logiciels de découverte du Moyen Age à la fois- et détente par la lecture d’un article du Monde).
Un ringard n’a pas forcément de meilleures notes qu’un Yo, loin de là. Le ringard représentant 75% de la population LFH-ienne, il y a très peu de chances que ce soient tous des rats de bibliothèques. Non, les centres d’intérêts sont variés. Tennis (ce qui a l’avantage de faire gagner un point sur la route des Yo, la minceur, sauf si vous mangez 15 682 Lions par jour, là c’est raté), ordinateur (si vous jouez de la guitare et que vous avez de sublimes cheveux bouclés ainsi qu’ « Albert » écrit sur tout votre livre d’anglais, vous êtes un Yo qui s’ignore, sâchez-le) ou lecture (SI, des gens lisent pour le plaisir) font partie du quotidien des ringards.
Un ringard est minoritairement conscient que tout le monde le déteste et aimerait assez qu’il se casse la gueule en montant les escaliers. La plupart sont à l’aise et font avec leur manque de popularité latent. Certains arrivent même à vivre sans craindre constamment qu’un troupeau de Yo le coince dans un couloir désert et rie de son nouveau t-shirt (tout le monde n’est pas OBLIGE de porter des rayures, bordel). Ils se déplacent entre ringards du radiateur à la cantine et de la cantine au CDI et sont aussi bien comme ça.
Ce n’est pas mon cas. Je suis une ringarde wannabe, haineuse et frustrée. Mais moi, je vais voir Albert en chair et en os !